Sur les pentes abruptes de La Réunion, les corps s’inclinent mais les âmes se redressent. Ce soir, à 22 heures, quand le coup d’envoi du Grand Raid 2025 retentira, des centaines de frontales allumeront la montagne comme une constellation mouvante. Parmi elles des étoiles mahoraises, deux étoiles venues du Nord de Mayotte : Souloutouni Saïd et Soulaimana Abou, cousins, amis et frères d’effort.
Il y a dans leur regard la flamme tranquille de ceux qui savent pourquoi ils courent. Pas pour battre des records, pas pour briller, mais pour honorer une promesse silencieuse — celle qu’on se fait à soi-même. Souloutouni, dossard 445, le dit avec simplicité : “Du plaisir à fond !” Pas de grands discours, juste la vérité brute du coureur qui sait que chaque pas coûtera, mais que chaque pas vaudra.
Le trail, discipline rude et belle, séduit de plus en plus à Mayotte. On y retrouve les gestes d’antan, ceux de la marche au « moudrani foundi », des sentiers d’enfance où l’on apprenait sans le savoir à dompter les dénivelés de la vie. Les “mangeurs de tchak-tchak”, comme dit Souloutouni avec un sourire, ont grandi dans l’effort. Leur endurance, c’est une culture.
Dans sa voix, on sent aussi la rigueur de l’exilé volontaire, celui qui s’entraîne loin, en Alsace, sous la pluie ou dans le froid, mais qui garde au cœur la chaleur du lagon. Il parle de son club, le CCAR Rouffach Athlétisme, avec la même fierté qu’un père évoque sa famille. Et quand il raconte que sa fille est devenue vice-championne du Haut-Rhin, son ton change : c’est la fierté douce, celle qui dépasse la performance.
Courir la Diagonale des Fous, c’est affronter 175 kilomètres d’ascension, de boue, de doutes et de vertiges. Mais c’est surtout courir contre soi, contre le temps, contre la tentation d’abandonner. C’est apprendre à écouter la montagne — et son propre souffle.
La Vigie, elle, suit ces deux cousins avec tendresse. Car derrière leurs foulées, il y a tout un peuple de marcheurs, de rêveurs, d’insulaires qui savent que le dépassement n’est pas un luxe, mais une manière de vivre. Quand la nuit tombera sur Saint-Pierre, que les lampes frontales s’éloigneront dans le noir, on pensera à eux. À leur courage, à leur patience, à leur façon de transformer la fatigue en poésie du mouvement.
Et quand Souloutouni dira : “Il est temps de ranger le téléphone”, on comprendra qu’il s’apprête à dialoguer avec quelque chose de plus grand que lui — la montagne, la foi, ou simplement cette joie farouche d’être vivant. La Diagonale des Fous n’est pas qu’une course. C’est une prière en mouvement.
M. Kaya, directeur de publication
