Interview

« Mon style littéraire puise directement dans cette richesse culturelle mahoraise »

À l’occasion de la 4e édition du Salon du Livre de Mayotte, placée cette année sous le signe de la jeunesse et tenue du 8 au 11 octobre 2025, Djabiri Madi Ousseni, alias Djabir Le Roi, s’est confié à acoua-info.

Originaire d’Acoua, cet écrivain incarne la nouvelle vague d’auteurs mahorais qui tissent un pont entre l’oralité des anciens et l’écriture contemporaine. À la fois poète, romancier et passeur de mémoire, il explore à travers ses œuvres les thèmes de la spiritualité, de la mémoire collective et des mythes du lagon, où se mêlent visible et invisible.

Dans cet entretien, Djabir Le Roi revient sur son parcours littéraire, ses sources d’inspiration et sa vision d’une littérature mahoraise en plein essor — une littérature d’enracinement et d’ouverture, à la croisée des mots, des cultures et des rêves. Entretien.

Comment est née votre passion pour la littérature et à quel moment avez-vous décidé de prendre la plume ?

Ma passion pour la littérature est née d’un défi personnel. J’étais, au départ, presque allergique à la lecture et fâché avec les livres. Le déclic est survenu lorsqu’un écrivain mahorais est venu dans ma classe pour présenter son ouvrage. À ce moment-là, je me suis dit : « Oui, c’est possible pour un Mahorais de lire et d’écrire. » J’ai alors décidé de m’y mettre sérieusement.

J’ai commencé en intégrant une association à Acoua où j’écrivais avec des amis, dont l’ancien député Boinali Saïd, Moutihani Imamou, Ahmed Darouèchi, et d’autres, dans le cadre d’un hebdomadaire intitulé Le Point de la Lune. Plus tard, en 2002, je me suis amusé à écrire mes premiers poèmes. Certains de ces textes ont été publiés en 2019 dans La Valse des Djinns, mon premier recueil.

Vos textes mêlent poésie, spiritualité et culture mahoraise : quelle place tient Mayotte dans votre écriture ?

Mayotte est au cœur de mon écriture. C’est un territoire nourri de multiples influences culturelles — entre animisme, islam et traditions orales — qui forment une identité unique. Quand on grandit dans un tel creuset, on devient naturellement un « poète hybride ». Mon style littéraire puise directement dans cette richesse culturelle mahoraise.

La Valse des Djinns évoque les croyances et l’invisible. Pourquoi ce choix d’explorer la dimension mystique de la culture locale ?

Ce recueil est une tentative d’interroger notre véritable culture, de sonder l’invisible et de questionner, en profondeur, notre identité. Le mystique, l’invisible et les croyances font partie intégrante de notre quotidien à Mayotte. Il m’a semblé important de leur donner une place dans mes textes.

Vous citez souvent Rûmî et Khalil Gibran comme sources d’inspiration. Qu’avez-vous appris de ces poètes mystiques ?

Avec Rûmî et Khalil Gibran, on apprend l’humilité, la simplicité dans notre relation au monde. Leur poésie nous enseigne que nous sommes à la fois le poète et la poésie. Le spirituel est partout, même lorsqu’il ne s’exprime pas de manière visible. Leur œuvre m’accompagne dans ma propre quête intérieure.

Qu’est-ce que l’écriture vous apporte au quotidien — un refuge, un engagement, une quête intérieure ?

L’écriture m’apporte une liberté précieuse, ainsi que la satisfaction d’accomplir un don de soi. Quand j’écris, j’ai l’espoir d’offrir à mes lecteurs un souffle nouveau, un fragment du monde intérieur qui m’anime.

Selon vous, comment se porte la littérature mahoraise aujourd’hui ? Est-elle suffisamment soutenue et visible ?

La littérature mahoraise est encore en train de naître. Elle est jeune, fragile, et a besoin d’être nourrie pour atteindre une certaine maturité. Elle demeure dans l’ombre, malgré quelques coups de projecteurs ponctuels. Il est essentiel qu’elle soit reconnue pour véritablement exister. Cela passe par la construction de bibliothèques dans tout le département, et par un soutien accru à ses auteurs.

Quels obstacles rencontrent un auteur mahorais pour publier et diffuser ses œuvres ?

Les maisons d’édition sont de plus en plus exigeantes — ce qui peut être une bonne chose en soi — mais cela freine aussi de nombreux projets. Il est urgent de développer, à Mayotte même, des structures éditoriales capables d’accompagner les auteurs, de les former, et de contribuer activement au développement de notre littérature locale.

Le Salon du Livre 2025 met la jeunesse à l’honneur. Que représente pour vous cette génération montante ?

C’est une génération très absorbée par l’univers de l’image et des écrans. Beaucoup d’entre eux ne connaissent même pas l’odeur d’un livre. Leurs sens doivent être éveillés, reconnectés à la lecture, au papier, à l’imaginaire textuel. Le SALIMA 2025 est un bel exemple d’initiative à reproduire, pour sortir cette jeunesse de l’emprise exclusive des écrans.

Comment inciter les jeunes Mahorais à lire davantage dans un monde dominé par les écrans ?

Il faut, selon moi, mobiliser les auteurs pour produire davantage de livres qui parlent aux jeunes : des bandes dessinées, des mangas, des romans jeunesse… Il faut les faire rêver, les séduire avec des formats qui leur parlent, pour que la lecture redevienne un plaisir.

Si vous deviez donner un seul conseil à un jeune qui rêve d’écrire, quel serait-il ?

S’armer de courage, être rigoureux envers soi-même, et faire preuve de beaucoup de patience. Écrire est un monde particulier, exigeant, mais profondément gratifiant. Il faut y croire, persévérer et surtout ne jamais s’autocensurer.

À travers vos écrits, quel message souhaitez-vous transmettre à votre public ?

J’aimerais que mes lecteurs sentent à quel point je suis exigeant envers moi-même. J’attends de leur part des encouragements sincères, car c’est grâce à eux que je pourrai continuer à m’améliorer et à répondre à leurs attentes avec justesse et sensibilité.

Pour conclure, que signifie pour vous “écrire à Mayotte” — est-ce un acte culturel, un engagement, ou une forme de résistance poétique ?

“Écrire à Mayotte”, c’est tout cela à la fois. C’est participer à la naissance d’une littérature locale, poétique, spirituelle. C’est tenter de rassembler une culture parfois fragmentée. C’est mener une forme d’investigation identitaire, et affirmer notre maturité — à travers la poésie — dans un monde en perpétuelle mutation.

Propos recueillis par M. Kaya

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