Éditorial

“Vendredisation”. L’élégance comme résistance

Il existe, à Mayotte, une beauté silencieuse qui se répète chaque semaine. Une habitude si ancrée qu’on pourrait ne plus la voir. Et pourtant, elle dit tout d’un peuple, d’un rapport au monde, d’un lien à soi : le vendredi, les Mahorais s’habillent. Bien. Très bien. Pas pour faire semblant. Pas pour paraître. Mais parce que c’est vendredi.

Les hommes sortent leurs plus belles chemises, les femmes drapent leurs corps dans des salouva choisis avec soin. Un soin qui dit l’amour de soi, le respect des autres, et parfois aussi, la foi. Le vendredi à Mayotte, l’élégance devient un geste collectif, une sorte de pacte tacite. On se tient droit. On se pare. On honore la fin de semaine comme on honore une tradition vivante. C’est de cette observation que Joss a tiré un mot, une idée, un concept : “vendredisation”. Un néologisme poétique. Une invention douce. Une manière de nommer ce que tout le monde vit sans forcément le dire.

Joss, lui, est comédien. Originaire d’Acoua. Une silhouette discrète, mais une présence éclatante sur scène. Il a fait du théâtre son refuge et son cri. Son outil de rire et de réflexion. De l’AJA à la Compagnie Théâtrale du Nord, il est de ceux qui construisent sans bruit, mais avec constance. Il travaille aujourd’hui sur La rupture de chaire d’Alain Kamal Martial, qui sera jouée aux festivals Baobab et Soma Zamani. Une œuvre forte, une scène pour dire, encore, ce que les mots seuls ne suffisent plus à exprimer.

Mais derrière le comédien, il y a l’homme. Et Joss ne se contente pas d’incarner. Il observe, pense, et crée. “Vendredisation” n’est pas une performance. C’est une philosophie du quotidien. Une attention portée aux gestes ordinaires. Une célébration de la dignité. Et dans une époque qui bouscule, qui crie, qui déchire, choisir l’élégance est un acte de résistance. Résistance au chaos. Résistance à la laideur banalisée. Résistance à l’oubli de soi.

Ce que Joss nous rappelle, c’est que le théâtre n’est pas que sur scène. Il est dans la rue, dans les regards, dans les vêtements qu’on choisit de porter pour honorer le jour. Il est dans le silence d’un homme qui fait, au lieu de dire. Dans la pudeur de ne pas prendre les autres en photo, mais de se montrer soi-même.

“Vendredisation”, c’est ça. Un mot pour dire ce que l’on est. Un mot pour ne pas oublier d’être beau, ensemble, au moins un jour par semaine. Un mot pour rappeler que l’élégance, ce n’est pas paraître.,C’est être. Et rester.

M. Kaya, directeur de publication

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